Gaz : Espagne, Portugal et Grèce s’opposent au plan de sobriété européen

L’Espagne et le Portugal ne veulent pas risquer de mettre à l’arrêt certaines de leurs industries. Les deux pays font valoir leur très faible exposition au gaz russe, leurs fortes capacités de stockage de gaz liquéfié et le développement des énergies renouvelables. Athènes juge qu’une réduction induirait des perturbations dans l’approvisionnement des particuliers comme des entreprises.

 « Nous ne pouvons pas assumer un sacrifice disproportionné sur lequel ne nous a même pas été demandé une opinion préalable. » La ministre espagnole de la Transition écologique, Teresa Ribera, a rejeté avec véhémence le projet de la Commission européenne publié mercredi 20 juillet et réclamant à tous les pays membres une économie de 15 % de la consommation de gaz. Elle a critiqué une annonce faite sans consultation et sans tenir compte des réalités diverses en matière d’infrastructures énergétiques. « Nous serons solidaires, mais la solidarité veut aussi dire que nous ne ferons pas payer les Portugais pour compenser le retard des autres quand ils auraient pu, comme nous, investir en renouvelables », avertissait, quelques jours plus tôt, le Premier ministre portugais Antonio Costa. De son côté, le ministre grec de l’Energie Kostas Skrekas a affirmé qu’une telle réduction de 15% induirait très vraisemblablement des perturbations dans l’approvisionnement des particuliers comme des entreprises. «Même si nous réduisons de 15% notre consommation, ça ne veut pas dire pour autant que plus de gaz ira en direction de l’Allemagne», largement dépendante des livraisons russes, a insisté le ministre grec. «Nous désapprouvons non seulement le caractère obligatoire de cette mesure, mais aussi le niveau même de réduction préconisé par Bruxelles», a-t-il ajouté.

Sans écouter le Sud

Les deux pays de la péninsule ibérique marquent leur différence et s’insurgent contre les décisions prises à Bruxelles sans écouter le Sud. Ils font valoir que leur très faible dépendance au gaz russe, leurs investissements en énergies vertes et leurs fortes capacités de stockage et de regazéification les placent dans une situation différente du nord de l’Europe.  « L’Espagne n’a pas vécu au-dessus de ses capacités énergétiques », a glissé la ministre Teresa Ribera, rappelant la façon dont les pays du Nord avaient fait durement payer au Sud le « gaspillage » au moment de la crise financière de 2008, en les accusant d’avoir vécu au-dessus de leurs moyens. Pour Madrid, comme pour Lisbonne, il s’agit de se faire entendre, alors que le volume d’interconnexions entre péninsule ibérique et le nord des Pyrénées a toujours été historiquement extrêmement réduit. C’est précisément cette situation d’« île énergétique » qui a poussé l’Espagne et le Portugal à développer, au fil des années, de grosses installations de stockage, aujourd’hui mises à profit pour recevoir le gaz provenant des Etats-Unis surtout, mais aussi du Nigeria. Au total, l’Espagne héberge 34 % de la capacité de regazéification de l’Union européenne et 45 % de la capacité de stockage de gaz liquide, en sites souterrains et cuves, indique-t-on chez Enagas, le gestionnaire du réseau gazier espagnol.

Atout face aux pressions russes

Ces installations font de la péninsule ibérique un atout stratégique de taille face aux pressions russes, et les deux voisins sont prêts à partager leurs moyens avec le reste de l’Europe. Mais à Madrid, comme à Lisbonne, on souligne aussi l’effort économique qu’a signifié, pour les consommateurs espagnols et portugais, le financement de ces infrastructures, ainsi que le développement des renouvelables, qui représentent la moitié de la capacité de production. En mars dernier, l’Espagnol Pedro Sánchez et le Portugais Antonio Costa avaient fait valoir à l’unisson « l’exception ibérique » pour pouvoir décrocher temporairement du marché électrique européen trop marqué par les prix du gaz. Cette fois, ils réclament d’être entendus et demandent la convocation d’un Conseil européen pour que les Etats puissent débattre.

« Etre efficace dans la réponse »

« Nous voulons être solidaires mais pour être efficaces dans la réponse, il faut se demander comment faire mieux les choses », a insisté la ministre espagnole Teresa Rivera. A quoi bon mettre en péril certains secteurs de l’industrie en forçant une économie de 15 % sur un gaz qui ne provient pas de Russie ? Surtout quand une partie des capacités peut, au contraire, être mise à disposition du reste de l’Europe, dans la mesure où le réseau de gazoducs le permet. De fait, les deux interconnexions gazières avec la France, par le Pays basque et par la Navarre, fonctionnent à plein rendement depuis le début de la guerre en Ukraine, pour envoyer du gaz vers l’Hexagone.

Cécile Thibaud (Les Echos)

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