Secteur public marchand : L’évaluation de la Cour des comptes

Le secteur public marchand (SPM) dont la consistance et l’étendue ne sont pas déterminées d’une manière exhaustive et officielle présente de faibles performances économiques et financières en dépit du soutien financier conséquent de l’Etat à travers les assainissements financiers. C’est ce que relève la Cour des comptes dans son rapport annuel. 

Par Abdelkrim Salhi

L’évaluation effectuée par la Cour des comptes visant à déterminer la consistance du SPM et l’appréciation de ses indicateurs économiques et financiers ainsi que le dispositif de sa gestion et de sa supervision a mis en exergue que les objectifs assignés aux différents dispositifs de gestion et de supervision du SPM mis en place, par l’Etat à travers l’institution d’organes chargés d’exercer le droit de propriété ou de gérer le portefeuille d’actions et de placements, n’ont pas été pleinement atteint.  Le secteur public marchand (SPM), précise la Cour des comptes, comprend l’ensemble des fonds publics investis par l’Etat dans le secteur économique, à travers les entreprises publiques économiques (EPE), dans le but de tirer des dividendes. Il est constitué des groupes et EPE non affiliées, des banques, des établissements financiers et compagnies d’assurance et des EPE relevant des autres personnes morales de droit public et s’étend pratiquement à toutes les activités de l’économie nationale. «Aussi, à l’exception d’un nombre réduit de groupes à savoir SONATRACH (Energie), SAIDAL (Pharmacie), GICA (Matériaux de construction) COSIDER (Construction), SERPORT (Transport) MADAR (Agro-industrie), le SPM se caractérise par une rentabilité très basse, une valeur ajoutée peu contributive à la formation du produit intérieur brut (PIB), surendettement des EPE et une faible rémunération des capitaux investis par l’Etat. « Cette situation traduit l’inefficacité des dispositifs, successifs, de gestion et de supervision du SPM mis en place qui peinent à assurer un suivi des fonds publics investis par l’Etat » fait remarquer la Cour des comptes. Il en résulte, ajoute le rapport,  notamment la faible circulation de l’information économique et financière sur le SPM qui, au demeurant, n’est pas exhaustive et n’est pas communiquée à son principal organe de gestion stratégique et de supervision à savoir le Conseil des participations de l’Etat, à travers son secrétariat technique, le défaut de coordination entre les différents organes composant le dispositif, l’absence d’un cadre comptable uniforme et approprié à même d’assurer la traçabilité des flux liés aux capitaux marchands de l’Etat et la consolidation intégrale des données y afférentes des difficultés dans la mise en œuvre des plans de développement des EPE.

Les principaux indicateurs économiques et financiers du SPM

« Pour apprécier la situation économique et financière du SPM, il a été retenu cinq (5) indicateurs à savoir : la rentabilité, la valeur ajoutée, les charges de personnel, la rémunération des capitaux investis et l’endettement » lit-on dans le rapport la Cour des comptes. Le rapport constate que le SPM présente, à l’exception d’un nombre très réduit de groupes à savoir SONATRACH (Energie), SAIDAL (Pharmacie), GICA (Matériaux de construction) COSIDER (Construction), SERPORT (Transport) MADAR (Agro-industrie), de faibles performances économiques et financières en dépit du soutien financier conséquent de l’Etat. Ainsi, les assainissements financiers, à titre d’annulation des créances du Trésor, de rachat des dettes et de gel du découvert, se sont élevés, à titre d’exemple, pour la période allant de 2003 au premier trimestre 2019, à 1 903 Milliards de dinars (Mrds de DA), alors que les plans de modernisation et de développement des groupes publics, financés par des crédits bancaires à un taux bonifié, ont atteint au 31 mars 2020 un montant global 1 3972 Mrds de DA. « En 2017 et 2018 la rentabilité financière moyenne globale du SPM, sans Sonatrach et sans les 6 entreprises précitées, est très basse comparativement au taux des placements en vigueur à la même période sur le marché qui est supérieur à 6% » relève le rapport de la Cour des comptes. Durant cette période, 14 sur les 44 groupes (soit presque 32%) ont enregistré des rentabilités financières et commerciales négatives parmi eux l’important groupe SONELGAZ et 15 autres groupes (soit 34%) ont enregistré, en 2018, un taux de rentabilité financière inférieur à la moyenne globale. Au titre de l’exercice 2018, la valeur ajoutée (VA) du SPM (Groupes et EPE autonomes y compris les banques et les compagnies d’assurances) s’est élevée à 5 243 Mrds de DA dont 3 894 Mrds de DA de Sonatrach et 485 Mrds de DA des banques et assurances publiques. Durant le même exercice, la VA du SPM a contribué à hauteur de 25,88% à la formation du produit intérieur brut (PIB) dont le montant est de 20 259 Mrds de DA. Toutefois, hors secteur de l’énergie (Sonatrach et Sonelgaz), sa contribution dans le PIB est de 5,51% dont 2,39 au titre des banques et assurances publiques, ramenant la part de la VA dans le PIB des entreprises hors secteur énergie à 3,13%. Les charges de personnels constituent la dépense d’exploitation la plus importante dans le SPM qui a employé, en 2017 et 2018, respectivement un effectif de 597 655 et 607 906 pour un montant de 706 Mrds de DA et 754 Mrds de DA (sans les banques et les assurances et les EPE des EPIC et EPST). Elles ont absorbé, durant ces deux exercices, en moyenne respectivement 50 et 52% de la valeur ajoutée de l’ensemble des groupes sans le secteur de l’énergie. Pour certains groupes tels que SNVI, GRCN, GATMA, IMETAL et ACS, ce taux a même dépassé les seuils de 86% en 2017 et 100% en 2018. En revanche, pour d’autres groupes, les charges de personnel sont maitrisables. En effet, le ratio charges de personnel / VA a représenté, en 2018, à titre d’exemple, pour Sonatrach (8,25%), pour le holding MADAR (21,13%), pour GICA (31,38%) et pour GTA (33,65%).   Les dividendes liés à la gestion des portefeuilles au titre de l’année 2018 affectées au Trésor public sont de plus de 250 Mrds de DA, dont plus de 194 Mrds recouvrés durant les années 2019 et 2020, soit un taux de rémunération global de 2,06%. Toutefois, sur les 250 Mrds, 150 Mrds proviennent de Sonatrach et 81,8 Mrds de DA des banques et compagnies d’assurance. Les capitaux propres investis dans les groupes et EPE hors Sonatrach et hors banques et assurances, s’élevant à 3 168 Mrds de DA, n’ont procuré donc, en 2018, à l’Etat que 18 Mrds de DA, soit un taux de rémunération de 0,57%. Ces dividendes ne proviennent que de 16 groupes dont les quatre (4) plus importants sont : SERPORT (1,6 Mrd de DA), GICA (1,5 Mrd de DA), MADAR (12 Mrds de DA) et COSIDER (1 Mrd de DA) soit 16,1 Mrds de DA ou 89,44% du total des 16 groupes. Le cumul des dividendes recouvrés par le Trésor depuis 2007 jusqu’au 30 septembre 2020, soit 14 ans, est de 1 665 Mrds de DA, dont 1 020 Mrds de DA ont été versés par Sonatrach (soit 61,28%) et 645 Mrds de DA par les autres EPE (soit 38,72%). La moyenne annuelle versée au Trésor est, donc, de 118 Mrds de DA ce qui est inférieur aux dividendes affectés à ce dernier en 2018.

Surendettement des EPE

Les actifs en valeurs nettes du SPM (hors banques et assurances) qui s’élèvent au 31 décembre 2018 à 22 378 Mrds de DA sont financés à hauteur de près de 52% par les dettes, soit 11 578 Mrds de DA (dont 8 369 Mrds de DA des dettes relèvent des 2 groupes SONATRACH et SONELGAZ soit plus de 72% du total des dettes du SPM). Toutefois, pour un nombre important de groupes et d’EPE non affiliées (18 groupes et EPE sur 44 soit plus de 40%), ce taux dépasse les 70%, pour 24 sur 44 soit plus de 54%, il dépasse 60% alors que pour les groupes SNVI, IMETAL, TRANSTEV, ENPI, GRCN, ce taux a franchi 90%. Les dettes sont principalement contractées auprès du Trésor et des banques publiques. Le CPE, lors de sa session du 12 décembre 2018, avait examiné la situation de l’endettement au 31 décembre 2017 des groupes et EPE relevant du périmètre de l’ECOFIE3 qui s’élève à 2 350 Mrds de DA et représente 187% des capitaux propres de ces groupes. Il a noté le surendettement des EPE et le risque de leur incapacité à rembourser leurs dettes, à l’exception, des groupes GICA, SERPORT, COSIDER et du holding MADAR qui dégagent des flux de trésorerie appréciables. Les indicateurs financiers et économiques ont connu une détérioration, durant les années qui ont suivi. En effet, le groupe SONATRACH, dont le chiffre d’affaires, la valeur ajoutée et le résultat net ont représenté, en 2018, respectivement 77%, 82% et 84% du total des données du SPM, a enregistré, en 2019, pour les mêmes indicateurs des baisses importantes, estimées respectivement, à (- 11,85), (-13,28) et (- 18,38%). Par ailleurs, le tableau de bords élaboré, au 31 décembre 2019, par ECOFIE sur l’activité de 12 groupes et de leurs filiales du ministère de l’industrie et des mines (y compris les groupes les plus importants et performants de l’ensemble du SPM à savoir : GICA, SAIDAL, COSIDER, MADAR), fait apparaitre, durant la même période, une baisse importante de leur chiffre d’affaires global (-8%), de leur valeur ajoutée totale (-7%) et de leur excédent brut d’exploitation (EBE) total (-34%).

A.S.

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