Le Moudjahid Abdelmalek Ouasti (1943-2009) n’avait que 16 printemps lorsqu’il a rejoint, en 1959, les rangs de l’ALN, pour être affecté dans la zone frontalière nord, dans la région ouest du pays, en pleine zone interdite.
La mission de sa section est de s’attaquer au barrage électrifié, faire des percées afin d’acheminer les approvisionnements nécessaires. Le défunt Ouasti, a vécu, trois années durant, l’enfer de cette zone, côtoyant la mort chaque nuit, à chaque sortie et à chaque opération. Dans son ouvrage, « Le démineur », une sorte de journal paru il y a une dizaine d’années aux éditions « ANEP », l’auteur apporte un témoignage poignant et précieux de cette période, du quotidien d’une section parmi tant d’autres, « coincée » dans la zone interdite à partir de laquelle ses éléments moudjahidine partent à l’assaut de cette muraille de barbelée, truffée de mille et un engins de la mort. Dans cette zone, tout est inhospitalier et le moindre pas peut être fatal. Le dernier. Il y a d’abord la nature du terrain et de la zone d’intervention. « Le plat. Terre noire, encrassée de broussailles, qui mettent votre peau à sang, qui vous déchirent les mains, les genoux et l’âme. Terre plate, secteur sans abris ni failles », décrit-il. Puis la nature de la mission même, exécutée presque quotidiennement : harceler l’ennemi, protégé par des blockhaus, des lignes barbelées et électrifiées et des champs semés de millions de mines prêtes à exploser en chaine au moindre mouvement, au moindre faux pas. Et puis l’ennemi est fortement armé, prêt à riposter par un déluge de feu à la moindre action. « Enfant, je ne rêvais que d’accrochages, me voyant en chaque songe éveillé derrière une mitrailleuse, tenant tête tout seul à une multitude de soldats français. En haut d’une collineà. Un drapeau vert et blanc flottant au vent du courage et du sacrifice », raconte le moudjahid Ouasti, pour qui son incorporation dans les rangs de l’ALN est presque naturelle, indiscutable et s’inscrivant dans la logique des choses, avec pour seule et unique mission: « détruire tous les barbelés, tous les obstacles qui nous séparent de nos amis lointains qui attendent des secours, qui attendent des munitions, qui attendent des soins, qui nous attendent », écrivait-il. Mission loin d’être une sinécure. L’ennemi est constamment sur le qui-vive. Dans la moiteur de la nuit, un déluge de feu et de fer se déclenche au moindre mouvement, à la moindre attaque. « Le faisceau de lumière crue des projecteurs nous livre nus aux balles des mitrailleuses et aux obus de l’artillerie », se souvenait-il, puis « les obus fusants, tirs de barrage, mortiers lourds, mitrailleuses et les tirs monstrueux des chars. Tout cela à la lumière fantasmagorique des fusées éclairantes, tirées en toute hâte. Tous les brasiers de l’enfer jetés sur la zone interdite ». Face à l’armement sophistiqué et à la puissance de feu de l’ennemi, les moyens des moudjahidine semblent dérisoires. C’est avec des bangalores
qu’ils partent à l’assaut de la muraille de la mort . « Les bengalores, de longs tuyaux de plomb bourrés de plastic. La mise à feu est simple : un détonateur et un bout de mèche. C’est au bengalore que nous nous attaquons au barrage. Chaque nuit. On en glisse quatre ou cinq sous le réseau barbelé, en tas, et l’on allume la mèche. L’explosion souffle une dizaine de mètres carrés de grillages et barbelés. Mais les dégâts ne subsistent guère plus d’une matinée. D’autres piquets, un autre grillage, du fer barbelé comme si toute la terre ne produisait que cela », raconte-t-il. Dans cet univers dantesque, la mort guette et frappe à tout instant. « La
mort ne nous vient pas toujours du ciel, dans le sillage des obus ou des blockhaus
qui gangrènent les collines. Elle vient aussi des mines. La mort jaillit du sol, de la touffe d’herbe ou de la pierre écrasée », écrivait encore le moudjahid Ouasti. Il ajoute : « la zone interdite est minée. Les abords du réseau barbelé sont parsemés d’engins de toute sorte savamment piégés. Un geste inconsidéré, une fraction de seconde d’inattention et voilà un effarant cercle de feu et de fer qui soulève le sol. Il ne restera que des débris de celui ou de ceux qui se sont retrouvés à l’intérieur de ce cercle ». Pour Ouasti et ses compagnons, la mort fait partie de leur quotidien. « Chacun de nous sait trop bien qu’il est là pour cela. L’idée de mourir ne L’effleure guère, car elle est si naturelle que l’esprit ne s’y attarde pas ». Mourir pour la patrie certes est un devoir sacré. Mais, il y a la manière. La façon de tomber au champ d’honneur. « Beaucoup d’entre nous souhaitent mourir d’une balle. Ils le disent souvent. Le corps resté entier et l’on n’endure pas sa propre mort. Pas de souffrance. Pas de conscience de la finà finir en morceaux est horrible et nous finissons invariablement déchiquetés par une mine ou bien brisés par un obus. Aucun être vivant ne devrait mourir ainsi. Pas même une bête ou une plante ». Pour les démineurs, la vie ne se déroule que la nuit. « Le jour, nous demeurons terrés, enterrés pour éviter l’observateur ennemi et tous les regardsà Seule la nuit nous libère. Elle nous libère pour nous jeter contre le barrage, contre les canons », écrit-il. Dans la vie quotidienne au campement, le temps s’écoule lentement en attendant la nuit. Une autre nuit. Une autre nuit encore avec ses inévitables assauts. Le café est l’une des rares denrées appréciées par les moudjahidine. « Le café agit sur nos nerfs tel un médicament qui aurait le pouvoir de les dénouer, de guider le cours du sang et de rafraichir l’envie de durer. Il lave nos idées au départ pour le barrage et efface les angoisses que nous colle sur les yeux le barrage et que l’on rapporte avec soi au retour », explique Ouasti, qui restera, jusqu’à ses ultimes heures, un « accroc » du café qu’il partage généralement avec son entourage. C’est dans le c£ur du Rif marocain, dans un camp que Ouasti vivra la proclamation de l’indépendance nationale. Il n’avait que 19 ans. Commencèrent pour lui d’autres missions de déminage comme ceux du port d’Oran et d’autres immeubles administratifs de la capitale de l’Ouest, piégés par les membres de la sinistre OAS. Après son retour à la vie civile, le défunt Ouasti embrassera une carrière de journaliste pour défendre par la plume des causes justes notamment celles liées au droit à l’autodétermination des peuples opprimés.
APS
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